Seul le prononcé fait foi

Quelles sont les dernières nouvelles de ceux qui sont restés sur place en Ukraine ? Y en a-t-il toujours ? Sont-ils en lieu sûr ?

Bonsoir. Oui, il y a encore des Belges qui sont en Ukraine. On a déjà comptabilisé 160 personnes qui elles ont pu quitter l’Ukraine. On est en contact avec 130 Belges. Il faut savoir que sur ces 130 Belges, on a plus au moins 80 Belges qui souhaitent partir tôt ou tard. Ça veut dire que tout le monde ne souhaite pas partir tout de suite pour des raisons personnelles diverses. On a une trentaine de Belges qui ne souhaitent en aucun cas partir, en tout cas c’est ce qu’ils disent aujourd’hui. Et on a une vingtaine de Belges qui ne se sont pas encore décidés. On est en contact avec eux tous les jours, quotidiennement. On leur relaie de l’information, on leur demande s’ils vont bien évidemment et on continue à leur demander de se mettre à l’abri et de quitter le pays aussi rapidement que possible.

Une grande actualité, c’est ce fameux Sommet européen à Versailles. Est-ce que la montagne ne risque pas d’accoucher d’une souris ?

Non, je pense que c’est fondamental qu’il y ait ce Sommet. Il y a des sujets qui vont être abordés, qui sont fondamentaux. La première, c’est qu’il y a une réalisation totale que le monde a changé. Le monde a changé aux portes de l’Europe. Il n’a pas changé loin de nous, il a changé tout prêt de nous. L’Europe doit, à mon avis, pouvoir entendre ça comme un « wake-up call » de plusieurs manières. On l’avait déjà vu avec le COVID, on voit à quel point on a des indépendances stratégiques qui sont importantes. Il faut pouvoir y réagir, au niveau économique, au niveau énergétique aussi. Il y a aussi le sujet de la défense, les dépenses en Défense qui vont être abordés. Je pense que l’erreur c’est de se dire qu’après deux jours de réunions à très haut niveau, vous auriez ce qu’on appelle des délivrables, donc immédiatement la réponse à toutes les questions. Mais par contre, je pense qu’il est impératif de créer le chemin, de créer la dynamique politique et de donner aussi mandat à la Commission (européenne) pour qu’elle vienne avec des propositions concrètes sur tous ces différents chantiers.

Vous nous avez déjà expliqué dans notre journal d’ailleurs pourquoi nos soldats belges ne se battraient pas au-delà des frontières de l’OTAN, mais quand on voit -comme aujourd’hui- une maternité bombardée à Marioupol, quand on voit les chiffres toujours plus importants du nombre de victimes civils. N’y-at-il pas au-delà des limites diplomatiques, des limites à l’inhumanité ?

Les limites à l’inhumanité c’est Vladimir Poutine qui les a franchies, personne d’autre. Il faut toujours bien se souvenir de ça. On sait aussi que le seul moyen de sortir de la guerre, c’est la diplomatie. Ce pourquoi la Belgique et les pays de l’OTAN, les Alliés de l’OTAN, n’interviennent pas de manière directe dans le conflit, – ils ne sont pas en guerre-, c’est pour éviter – ce n’est pas une question diplomatique – c’est pour éviter que le conflit se généralise de manière beaucoup plus grave et beaucoup plus importante. Il faut trouver ce juste milieu, entre ‘comment est-ce qu’on fait pour aider l’Ukraine de manière forte’, ‘condamner et punir la Russie pour ce qu’elle fait’, tout en évitant de créer un conflit généralisé, que tout le monde veut éviter évidemment?

En attendant, les mots du président ukrainien sont très durs. Il parle de génocide ukrainien et il interpelle les Européens : ‘vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas vu’. Ça résonne comment quand on est de l’autre côté de la frontière de l’OTAN ?

C’est vrai qu’on est de l’autre côté de la frontière de l’OTAN, on est parfaitement avec les Ukrainiens. Je peux vous dire que ça résonne évidemment douloureusement et on n’a pas besoin de ces mots pour comprendre à quel point ils sont dans une situation de détresse impossible, inextricable. Ils se battent avec fierté et courage. Comme je vous l’ai dit, on les aide et moi je comprends que quand on est bombardé, attaqué, de la manière que l’on peut voir, toute aide qui peut être apportée n’est pas suffisante parce que le conflit ne s’arrête pas.

Retour à l’actualité. Ce fameux Sommet de Versailles, dont on attend quand même beaucoup. Ce matin dans le journal ‘Le Soir’, le Premier Ministre disait ‘la priorité ce sera pour notre sécurité, notre défense’. À nous les européens, la priorité n’est pas quand même la défense et la sécurité de l’Ukraine ce soir et dans les prochains jours ?

Bien sûr, c’est la défense et la sécurité de l’Ukraine. C’est pour ça  -et pas seulement d’ailleurs- qu’on aide l’Ukraine au niveau militaire, on aide l’Ukraine au niveau humanitaire, on aide l’Ukraine au niveau économique et on essaie aussi de créer un changement de comportement des Russes par nos sanctions économiques, qui sont majeures. À côté de ça évidemment, ça pose la question aussi – puisque la guerre est aux portes de l’Europe, aux portes de l’OTAN- de ‘comment est-ce que l’OTAN va à terme réagir par rapport à ce qui s’est passé ?’. C’est-à-dire ‘comment est-ce qu’elle va redéfinir sa position, sa posture – c’est ce qu’on appelle la posture- dans l’Europe de l’Est’. Et puis aussi se poser la question ‘comment est-ce que l’Europe –qui a extrêmement bien réagi au niveau économique et au niveau des sanctions- peut encore se renforcer au niveau des défenses. Un sujet qui revient très fort pour le moment, c’est le niveau de dépense des différents États-membres , puisqu’il y a des grandes différences évidemment entre les États-membres.

Vous parlez vous-même des sanctions économiques, est-ce qu’il ne fallait pas encore être plus fort, des sanctions plus dures ? Couper à la limite tous les importations possibles ?

Alors, depuis le début on a toujours parlé de sanctions progressives, donc au fur et à mesure pour ne pas laisser de répit. Au fur et à mesure aussi de l’évolution de la guerre. J’entends bien qu’on me dise ‘mais est-ce qu’il faut attendre que ça aille encore plus mal?’. Certainement pas. D’ailleurs on a encore pris un train de sanctions, pas plus tard que début de semaine et on va continuer à le faire, au fur et à mesure les propositions sont faites …

Il y aussi des effets boomerang pour l’ économie belge.

Bien sûr. Il faut bien comprendre ça et je pense que la Belgique l’a bien compris. Le prix de la liberté, ça coûtera aussi à l’Europe. Quand vous prenez des sanctions économiques aussi importantes avec un acteur mondial aussi important, par définition vous êtes impacté. On le voit déjà. La guerre, pas spécialement les sanctions, la guerre tout simplement apporte son lot de difficultés économiques. On le voit dans le prix de l’énergie, par exemple, mais pas seulement. C’est clair qu’il y aura des effets induits à ces sanctions directement, il y aura des effets induits de la guerre et puis il y aura probablement aussi des effets induits des contre-sanctions que prendra Vladimir Poutine.

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Les États-Unis ont décidé, eux, dès mardi soir, d’instaurer un embargo sur le pétrole, sur le gaz. Ce fut rapide, ce fut radical. Nous, nous sommes trop lents ou eux justement trop rapides ?

Je ne pense pas que ça soit une question de lenteur ou de rapidité. C’est aussi une question d’intérêts stratégiques. Il faut savoir que les États-Unis ne dépendent pas de livraison de gaz et l’Europe, de 40% depuis la Russie. Et les États-Unis dépendent à 8% du pétrole. Et nous, à 25% et la Belgique, à 30%.

Donc ils peuvent se permettre de frapper plus fort quelque part ?

Est-ce qu’ils frappent vraiment plus fort ? Puisque leur dépendance est aussi relative au cout qu’ils portent à la Russie. Il faut voir les choses dans ces grandes équilibres. Comme l’a dit le Président Biden, cela a été fait en parfaite discussion avec les États membres de l’Union européenne. C’est à nous maintenant de voir comment, en fait, se décrocher de manière significative, donc assez rapidement de notre dépendance au gaz et au pétrole russe sans non plus nous mettre, nous, Europe, totalement hors service. Et c’est cet équilibre des choses qu’il faut faire. Faire suffisamment mal. Infliger suffisamment de difficultés majeures économiques à la Russie tout en ne nous mettant pas nous-même hors service. Je pense que ça, c’est une équation qu’il faut essayer de pouvoir résoudre.

Des budgets supplémentaires pour une défense européenne. Cette armée européenne, ça ne reste pas un doux rêve ?

Il ne s’agit pas tant de parler d’une armée européenne. Il s’agit d’abord de faire en sorte que les États-membres dépensent leur juste part dans les dépenses auxquelles elles doivent faire face, année après année. On sait très bien qu’il y a ce fameux niveau de 2% du produit intérieur brut qui doit être consacré normalement aux dépenses militaires et que tous les pays n’y sont pas. Nous, par exemple, nous savons que nous avons projeté d’arriver à un niveau de 1,54% d’ici 2030. Alors, la première chose à savoir c’est comment est-ce qu’on va tous -ceux qui en ont plus besoin que d’autres d’ailleurs- remonter le niveau de dépenses. Mais je comprends aussi que ça ne peut pas être la réponse absolue à tous. Il y a d’autres choses qui doivent être faites au niveau européen. Par exemple effectivement voir comment est-ce qu’on peut augmenter l’interopérabilité de nos armées, comment est-ce qu’on peut travailler à des projets communs, des achats communs. Il y a toute une série de choses qui doit être faite.  À l’intérieur, -attention- toujours à l’intérieur de l’OTAN.

S’il y a une cohésion européenne, avant de parler d’une armée européenne, une cohésion entre les armées, qui aura le dernier mot : l’OTAN ?

Ce n’est pas une question d’avoir le dernier mot. À l’OTAN tout le monde a une capacité d’expression égale. C’est clair que les grands pays ont un « leadership » aussi parce qu’ils ont des capacités militaires plus importantes. Ils ont aussi l’intelligence militaire plus importante que la nôtre. On se fie beaucoup à nos grands partenaires pour profiter évidemment de cette intelligence. Tout le monde apporte d’ailleurs sa partie de connaissance. Je n’en ferai pas un système de compétition. J’en ferai plus tôt un ensemble qui renforce l’ensemble général et l’objectif général, qui est la défense collective à l’intérieur de l’OTAN.

L’Union a lancé la procédure d’examen d’une potentielle adhésion de l’Ukraine. Est-t-il temps, trop tard ou est-ce que ça risque d’être ressenti comme une nouvelle provocation aussi côté russe ?

Je pense que la Russie n’a pas eu besoin d’être provoquée pour faire ce qu’elle fait aujourd’hui. C’est une chose qu’il faut mettre de côté en terme de considération. Si la Russie a envie de se sentir provoquée, elle se sent provoquée, même si ce n’est objectivement pas le cas. Ça c’est le premier point. Deuxième point, je pense que c’est très important de donner une perspective européenne à un pays comme l’Ukraine parce qu’elle est victime de son aspiration européenne aujourd’hui. Ce serait quand même assez particulier qu’on lui tourne le dos. C’est vrai aussi que le processus d’adhésion est un processus qui est complexe, lent. Pas parce que ça nous amuse qu’il soit lent, mais simplement parce que faire partie de l’Union européenne -on ne fait pas partie à moitié de l’Union européenne- ce sont des droits, ce sont aussi des privilèges, des avantages … et des obligations.

Il n’y a pas une forme de caractère d’urgence ici, qui pourrait faire accélérer la procédure ?

Je pense que l’adhésion doit rester complète, pleine et entière. Par contre, il faut pouvoir donner très rapidement des signaux d’aides. Vous savez ? La première chose que nous allons devoir faire avec l’Ukraine, c’est la reconstruire. L’Union européenne a les moyens …

Un plan Marshall européen ?

Je ne dirais pas aujourd’hui ce qu’il faut faire exactement et comment on doit le faire. Mais je pense que ça sera d’abord la première préoccupation des Ukrainiens, avec évidemment des accords de coopération, des échanges renforcés que l’on peut trouver à l’intérieur des programmes européens qui existent aujourd’hui.

Parlons des Ukrainiennes qui arrivent en Belgique, qui sont réfugiées. Certaines craignent déjà une exploitation sexuelle, qu’est-ce qu’on fait pour les protéger chez nous ?

Il y a un constat général c’est que dans les conflits, les femmes et les enfants sont souvent et la plupart du temps d’ailleurs, les premières victimes d’agressions et d’exploitation. Ça c’est un constat général. Ici il y a en plus une particularité, c’est que la population qui fuit l’Ukraine est effectivement composée de femmes et d’enfants, il n’y a pas d’hommes. Selon moi, il y a plusieurs éléments. La première chose, ce sont les contrôles à la frontière. Évidemment il faut s’assurer que tous les gens qui passent la frontière, sont bien enregistrés et pour lesquels il y a un suivi et qu’ils ne soient pas déjà d’entrée de jeu pris par des réseaux. Puis après, il y a l’accueil dans les États-membres. C’est vrai qu’on parle beaucoup aujourd’hui  – on entend ‘comment va-t-on les loger – mais il ne s’agit pas que de loger ces femmes et ces enfants. Il s’agira aussi de les accompagner, justement pour éviter ils tombent dans de mauvaises mains.