Pour Sophie Wilmès (MR), la cheffe de notre diplomatie, l’Europe se révèle dans les moments durs et la Belgique est totalement au rendez-vous : cela a surpris Poutine, dit-elle.

L’Europe qui parle d’une voix forte et unie, sans veto d’un pays ou l’autre, la fourniture d’armes pour la première fois, etc. On vient de se réveiller dans une nouvelle Europe ?

Non, c’est la même Europe mais qui montre de quoi elle est capable. Il y a quelques mois, on aurait été bien en mal de se projeter dans la catastrophe que vivent les Ukrainiens. Même s’il y a des signes avant-coureurs, on se refuse toujours à envisager le pire, ce qui ne signifie pas que l’on ne s’y prépare pas. Il y a quelques mois, on avait des incertitudes sur la capacité de l’Europe à réagir. C’est donc la même Europe, mais une Europe qui se révèle dans les moments les plus durs, avec cette capacité à l’unité et à agir vite et aussi cette force de frappe qui est assez remarquable. Cela a dû, au-delà de certains États membres eux-mêmes, en surprendre plus d’un.

À commencer par celui qui a décidé d’envahir l’Ukraine ?

Exactement.

L’Europe continue, on parle même d’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Vous en pensez quoi au-delà de la sympathie que l’on peut avoir pour ce pays victime d’une agression ?

J’ai la conviction que l’Ukraine fait partie de la grande famille européenne. On a un pays qui se fait canarder, agresser par la Russie, principalement parce qu’il a regardé de manière trop insistante vers l’Europe, parce qu’il a pris le chemin de la démocratie moderne, de nos valeurs, qu’il a commencé à prendre le chemin des réformes pour faire partie de l’Europe. Le processus d’adhésion est long, lent, très exigeant et c’est une très bonne chose. Il ne faut pas remettre en question ce processus et ce chemin. Par contre, il faut être conscient qu’il doit y avoir un moyen à trouver pour renforcer notre relation d’ici à ce qu’une adhésion soit possible.

Vous ne craignez pas que cet enthousiasme européen puisse être pris comme une provocation par la Russie ?

Je ne l’analyse pas en fonction de ce que des tiers pourraient penser mais pour ce que c’est, c’est-à-dire dans le cadre de la relation entre l’Europe et l’Ukraine. C’est ça un processus d’adhésion.

Il y a une forte mobilisation, c’est vrai, mais la réaction de l’Europe n’a-t-elle pas été un peu trop tardive ? Les Ukrainiens n’auraient-ils pas été en meilleure position si on s’y était pris plus tôt ?

Je ne suis pas du genre à réécrire l’histoire. Je pense que l’Europe, la Belgique aussi qui a été parmi les premiers pays à faire des propositions importantes, ainsi que les alliés de l’Otan ont été totalement au rendez-vous.

Vous étiez de ceux et de celles qui pensaient que Poutine ne lancerait pas la vaste offensive que l’on voit ?

Quand on regarde les infos que l’on avait à disposition, c’était quand même évident. On ne réunit pas 150.000 hommes à la frontière sans un objectif particulier. Il y avait également la rhétorique agressive de la Russie. Mais quand vous analysez les choses, vous le faites à travers votre spectre : qu’est-ce qui semble raisonnable ou totalement fou ? Attention, cela ne signifie pas qu’on ne se préparait pas au pire. Ça, on l’a fait. Est-ce que pour autant la plupart envisageaient que cela allait se passer ? C’est encore très différent, même en Ukraine d’ailleurs.

Croyez-vous en un dénouement qui empêcherait Poutine d’arriver à ses fins ?

Ce que je sais, c’est ce que je vois et ce que j’ai expérimenté, c’est-à-dire une Russie qui fait mine de vouloir négocier et qui, en parallèle et sournoisement, prépare la guerre. Dans ces conditions, une analyse qui tendrait à démontrer que les choses vont se résoudre à la table de négociations dans les jours qui viennent, il faut bien avouer que les chances sont très ténues. Il y a une différence entre l’expression affichée et la réalité du terrain. Dire qu’on va négocier tout en bombardant massivement des villes… Il y a cette réalité et il y en a une autre, celle des sanctions massives, de l’isolement de la Russie. En fin de compte, ce qui fait potentiellement qu’on peut sortir d’une guerre, c’est la diplomatie. Les parties ne peuvent pas y renoncer, jamais.

Sauf que la diplomatie, là, elle est en retrait…

La diplomatie garde tous ses droits théoriquement mais, pratiquement, on constate qu’elle est en retrait par rapport à cette réalité qui s’impose à nous et avant tout aux Ukrainiens. On attend que la diplomatie puisse revenir à l’avant-plan.

Comment réagissez-vous à ces allégations russes qui disent que l’Europe et l’Otan, de par leur volonté d’expansion, seraient aussi responsables, pour avoir méprisé leurs préoccupations sécuritaires ?

C’est inaudible. On ne répond pas à un manque de considération par rapport à une demande de ce type en écrasant une population.

Le but recherché des sanctions, c’est l’effondrement de l’économie russe pour pousser les Russes à chasser Poutine ? Tant qu’il restera à la tête de la Russie, il sera considéré comme un paria et son pays également ?

L’objectif des sanctions est toujours de faire changer un comportement, ça fait partie de la dissuasion. Si le comportement ne change pas, il faut être cohérent par rapport à ce que vous avez annoncé. Avec ces sanctions jamais vues, à hauteur de la situation dramatique que vit l’Ukraine, on agit de manière forte et déterminante pour faire plier la Russie (…) Au-delà de Poutine, c’est d’abord le comportement d’une autorité qui est dénoncé. Si un autre leader russe adoptait potentiellement le même comportement, cela ne changerait rien à nos sanctions. Si les Russes décidaient d’arrêter les hostilités, mais laissaient une Ukraine à feu et à sang ou s’ils restaient là-bas, cela ne changerait rien à nos sanctions, qui ont la particularité de pouvoir s’inscrire sur le très long terme également. Mais ce n’est pas l’objectif. L’objectif, c’est de revenir à une situation acceptable.

Le président américain, Joe Biden, a qualifié Vladimir Poutine de dictateur. C’est un élément de langage que vous reprendriez à votre compte ?

Je n’aurais pas de difficulté avec cela. Quand M. Biden parle, tous les mots sont pesés : il s’adresse à la nation américaine, mais aussi au monde et donc également aux Russes. On voit bien un langage qui est de plus en plus fort mais à la mesure de l’agression sans précédent que la Russie commet.

Nucléaire : « La Russie veut créer la panique »

Poutine a brandi la menace nucléaire : gesticulations ou risque réel ?

Il ne faut jamais prendre ce genre de déclaration à la légère. Il y a une volonté clairement affichée d’intimider et de créer la panique dans les populations européennes, alors que les infos que nous recevons ne sont pas de nature à être inquiétantes et n’annoncent pas de problème imminent à cet égard.

Éviter de céder à la panique, c’est le message que vous adressez à la population ?

Absolument. Il faut garder la tête froide par rapport à un individu qui a une rhétorique dure et guerrière. Créer la panique, c’est ce que recherchent les Russes… Et cela ne veut pas dire que l’Otan ou l’Europe ne sont pas attentives à tout ce qui est dit et fait par la Russie. Nous ne sommes ni inconscients, ni naïfs. Mais je perçois bien que cela peut être pesant. Je suis maman et ma fille de 13 ans m’a posé la question. Je lui ai expliqué cela aussi.

Et vous avez aussi un message pour ceux qui répondent à l’appel des autorités ukrainiennes et veulent aller se battre là-bas ?

Ma réponse sera prudente, car j’ai demandé une analyse juridique des conséquences de répondre à ce type d’appel. Je comprends la volonté de vouloir défendre un peuple injustement attaqué et en même temps notre message est clair : ne vous rendez pas en Ukraine ! L’État belge répond de manière significative aux demandes ukrainiennes : soutien militaire et civil, soutien financier, soutien en matériel, sanctions terribles et jamais vues pour la Russie (et la Biélorussie), pour l’isoler à tous niveaux.

« Ne pas en tirer toutes les leçons serait une erreur »

Des entreprises belges vont souffrir des sanctions contre la Russie et des contre-sanctions russes. Après le Covid, ça risque d’être un nouveau coup dur pour elles, pour notre économie et pour les caisses de l’État ? On a l’impression qu’on n’en sort pas ?

On s’en sort et on s’en sortira toujours. Je suis très sensibilisée à cette suite d’événements catastrophiques et d’abord pour l’Ukraine, je le rappelle. Il y a chez nos citoyens une angoisse que je comprends, due à la gravité de ce qui se passe et au fait que l’on sort d’une période qu’on pensait inimaginable. Je suis maman et je vois que ça pèse sur la population en général, mais aussi sur la jeunesse. Il faut y être très attentif. Cela dit, les sanctions auront des répercussions économiques, mais les premières répercussions économiques sur l’Europe, c’est la guerre déclenchée par les Russes en Ukraine. En Europe, on a des valeurs et on montre à qui a besoin de l’entendre qu’il y a des lignes rouges à ne pas dépasser. Qu’est-ce qui empêcherait sinon de penser que l’Europe est faible ?

En quoi la crise ukrainienne peut-elle influencer le dossier énergétique et de sortie du nucléaire chez nous ?

Cela a une influence. Il faut être aveugle pour ne pas voir que l’indépendance énergétique, la sécurité d’approvisionnement, le prix sont autant d’éléments influencés par les développements géopolitiques. Plus vous vous rendez dépendant d’un pays qui n’est pas un interlocuteur fiable en termes de géopolitique, plus vous vous mettez dans une situation potentiellement délicate, on le voit. Ne pas en tirer toutes les leçons au niveau européen ou belge serait à mon avis une erreur.

D’après ce que vous sentez dans vos réunions, le MR est-il moins seul à défendre la prolongation du nucléaire après 2025 ?

Je ne sais pas si ça fera changer d’avis les uns et les autres. Je n’ai pas envie de faire des paris politiques sur un sujet si prégnant et grave que la guerre. Il y a des déclarations dans la presse permettant de voir, et je suis prudente, qu’il y a plus que des questionnements posés par certains partis. La discussion se fera en interne.

Entretien – Didier Swysen

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