La Première ministre maintient : les visites dans les homes doivent être mises en place le plus vite, « il y a urgence sanitaire ». Le déconfinement est confirmé, mais ce sera lent, « avec de possibles retours en arrière. »

© Dominique Duchesnes (Le Soir)

Bernard Demonty

La Première ministre nous reçoit au « Seize », dans une très grande salle permettant le respect des mesures de distanciation sociale qu’elle a annoncées puis renforcées. L’humeur est prudemment positive. A l’image de cette période, où le déconfinement s’annonce à l’horizon. Mais ce ne sera pas un parcours de santé…

Votre annonce d’autorisation de visites dans les homes a provoqué un tsunami de réactions. C’était une gaffe ou la bonne idée au mauvais moment ?

Ni l’un ni l’autre. Bon, si c’était à refaire, d’aucuns le referaient différemment. Mais il faut bien comprendre le contexte. Cela fait des semaines que l’on sait par partage d’expérience que la population des plus âgés d’entre nous vit dans une angoisse plus grande que les autres parce qu’ils se savent un public fragilisé par rapport au Covid-19. Il y a des personnes âgées qui, vu leur état de santé général, comptent les semaines, le temps qui passe, d’une autre manière que nous. La situation est inhumaine. Je considère cela comme une urgence sanitaire aussi. Et je continue à penser qu’il est fondamental de répondre à cela de manière urgente. La décision a été prise à l’unanimité, y compris des ministres-présidents des Régions et Communautés qui en ont la compétence, c’est qu’il y avait une volonté générale d’avancer.

Mais quel tollé ensuite…

Si on constate qu’il n’y a pas d’adhésion, soit c’est sur le fond et, là, ça ne va pas du tout. Mais je ne crois pas que ce soit le cas. Soit il n’y a pas d’adhésion au timing et alors ma réponse est simple. C’est « Prenez le temps qu’il vous faudra. Surtout prenez le temps nécessaire. Mais commencez ! » Parce que les virologues nous disent qu’il est possible de pouvoir l’envisager. Au niveau de la santé, c’est même nécessaire. Et au niveau de l’humanité, c’est impérieux. L’essence, elle est là. Ce que je ne voudrais pas, c’est que cela retarde la possibilité que cela se passe vraiment au bénéfice des résidents et que le milieu professionnel se sente dévalorisé ou ne se sente pas écouté.

Il y a eu un manque de concertation sur cette décision, avec les homes, les fédérations.

Je constate qu’il n’y avait pas d’adhésion à ces décisions dans les matières dont je reconnais ne pas avoir la compétence. La compétence est régionale. Mais j’assume parfaitement le fond de la décision.

Les Régions auraient dû consulter, c’est ce que vous dites ?

Oui, mais le problème, c’est que quand je dis cela, j’ai l’impression de rentrer dans une bagarre du valet noir et je ne le ferai pas. Ce n’est pas digne de la situation dans laquelle on se trouve. Mais il y a une réalité objective de compétence. Pour le reste, on a à gagner à être solidaire dans l’ensemble de la situation même si politiquement, institutionnellement, les compétences sont partagées.

Plus fondamentalement, quand on voit les chiffres de mortalité, la Belgique n’a-t-elle pas gravement failli à protéger ces personnes les plus fragilisées ?

Il y aura un moment clair pour les évaluations, les analyses. D’aucuns en feront une opportunité de mieux se préparer et d’améliorer nos systèmes, d’autres en feront l’opportunité de règlements de compte politique. On verra.

Les tests n’ont pas suivi.

Autant je ne renvoie la balle chez personne, autant je trouve indécent qu’elle soit renvoyée ailleurs. Quand on dit que les tests n’ont pas suivi, cela induirait qu’il y a eu un choix de mettre une partie de la population de côté. Ce n’est pas le cas. On se trouve dans une situation de pénurie de matériel de protection ou de tests. Mais nous avons développé des capacités de tests et toute la puissance est mise dans les maisons de repos.

Il y a eu un manque d’anticipation quand même, qui dépasse les maisons de repos.

Vous connaissez beaucoup de pays qui étaient capables, d’entrée de jeu, de tester une population entière ? Même une partie ? Sur un virus inconnu ? Je ne dirai jamais que tout est parfait, mais il y a des énergies qui peuvent être utilisées à présent pour travailler positivement et dans la bonne direction.

L’étape suivante, justement, c’est le déconfinement.

La première chose, c’est que la gestion du déconfinement est beaucoup plus délicate que la gestion du confinement. Ce qui est assez paradoxal. Il est plus difficile de gérer la reprise de nos libertés que le fait de les avoir ôtées.

Comment va se passer le déconfinement ?

Graduellement. Etape par étape. Petit à petit. Vendredi, nous allons venir avec un plan qui va dire comment on va commencer, et décrire les étapes ultérieures. Ce plan sera accompagné de toute une série de conditions. Et la première, c’est qu’au fur et à mesure du temps, nous continuerons à monitorer la situation sur le terrain. Ces analyses autoriseront la deuxième, la troisième étape, etc. Et il faudra bien intégrer que, si la situation sur le terrain, à un moment donné, nous indique que, parce que la décision a été trop poussée ou parce qu’elle est mal appliquée, la situation sanitaire dérape, on pourrait revenir en arrière. Ce n’est pas l’objectif, cela rajoute de la difficulté. Mais il faut avoir l’honnêteté de le dire.

Le plan par étapes, il sera assorti de dates ?

C’est la quadrature du cercle. On a besoin de perspectives, il faut en donner. Mais des perspectives, ce n’est pas un calendrier rigide. Ce qui doit encore être déterminé, c’est le niveau de précision avec lequel nous devrons aller. Il ne faut pas oublier que nous vivons une situation totalement inédite. La Belgique n’a jamais dû déconfiner.

Vous pouvez être plus précise sur les écoles, le retour au travail, les vacances ?

On le sera. Je sais que c’est une demande de perspectives.

Vous serez plus précise que mercredi dernier ? Il y avait un goût de trop peu notamment sur les événements de masse qui n’étaient pas clairement définis…

Je comprends ce goût de trop peu mais on ne peut demander tout et son contraire. Quand on demande d’avoir des perspectives, il faudra accepter aussi qu’entre un plan émis et l’opérationnalisation du plan dans ses moindres détails, il y aura un temps de latence. Et ce temps de latence est nécessaire parce qu’il permet de bien élaborer comment pratiquement les choses se passent. Si vous demandez que tout soit prêt jusqu’au dernier détail opérationnel, vous attendrez encore un peu.

Mais alors, ne faut-il pas communiquer quand les mesures sont clairement fixées ?

Je pense qu’il y a un besoin de savoir et quand on sait plus ou moins on peut s’organiser, que ce soit personnellement, en tant qu’entité familiale, qu’entreprise, ce n’est pas pour ça qu’on a besoin de savoir à quelle date, à quelle minute, de quelle manière tout se passera. Mais cela vous permettra de vous mettre en mouvement.

Il est possible qu’aucun enfant ne rentre avant septembre ?

Vous pensez bien que j’ai des idées. Mais si je commence à dire ce que je pense à titre personnel… Ma parole en tant que Première ministre doit être rigoureuse, sinon on ne va pas s’en sortir.

Pour déconfiner, va-t-on entreprendre des tests à grande échelle ? On parle de 10.000 tests par jour, mais on a l’impression qu’on n’y est pas.

La capacité de 10.000 tests par jour, c’est la capacité des laboratoires d’analyser 10.000 échantillons par jour et de déterminer s’ils sont positifs ou négatifs. Mais en amont de cela, il faut des médecins et des gens qui peuvent effectuer des tests, et là, nous ne sommes pas à 10.000. Donc, la capacité de tests est disponible, mais ils ne sont pas toujours tous effectués. Ce nombre va augmenter au fur et à mesure. C’est très important. Parce qu’après un test positif, la personne sera mise de côté, et elle sera plus attentive à son état de santé mais aussi les gens qui l’entourent et l’ont croisée. C’est le « tracking ».

Comment sera-t-il organisé ?

De manière physique d’abord. De très nombreux fonctionnaires régionaux vont être engagés pour effectuer un suivi personnel. Puis, il y a la question de l’apport technologique. On doit le choisir et l’encadrer juridiquement, car de nombreuses questions de respect de la vie privée se posent.

Les gens devront marquer leur accord ?

C’est la quadrature du cercle. Mais ce sera difficile à la fois de garantir le respect de la vie privée et de faire des choses sans l’accord des gens. A mon avis, si on veut entrer dans la vie privée des gens, il faudra leur accord. Tout se fera dans le respect de chacun.