Sophie Wilmès « Une attente particulière et l’espoir d’une approche différente »

Un nouveau chapitre diplomatique s’ouvre entre la Belgique, l’Europe, et les États-Unis. La ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès, se félicite du retour des Américains à la table du multilatéralisme. Mais appelle à la patience : Accords de Paris, ONU, OMS… « tout ne sera pas réglé du jour au lendemain ».

Quel est le sentiment dominant au sein de la diplomatie belge vis-à-vis de cette nouvelle administration ? Du soulagement ? De l’espoir ? Ou une certaine prudence ?

Malgré l’ambiance généralisée due au covid, aux difficultés qui ont émaillé la passation de pouvoir aux États-Unis, la prise de fonction d’un nouveau président dans une démocratie reste un grand jour pour ce pays et pour les pays amis. La question est de savoir comment ce changement d’administration va impacter ou non les relations que les États-Unis entretiendront, avec la Belgique directement, et avec l’Europe. Sur ce point, il y a une attente un peu particulière. Si on ne doute pas que l’agenda américain ne changera pas profondément, en termes de contenu, entre les deux administrations, on se rend compte que l’approche sera différente. Et ça, c’est quelque chose que l’on attend avec plaisir. La Belgique est un pays qui croit et qui œuvre depuis toujours au multilatéralisme. Nous nous inscrivons, nous reconnaissons dans cette dynamique.

On sait que le nouveau président Biden souhaite réinscrire son pays dans la voie du multilatéralisme, ce qui, évidemment, nous convient parfaitement. Est-ce que pour autant nous serons toujours sur la même longueur d’onde et en phase avec les positions prises sur certains dossiers par les Américains ? Par définition, non. Chaque pays a son agenda. Mais en ce qui concerne la capacité d’aboutir au compromis, la volonté de considérer l’Europe comme un partenaire avec qui il faut composer, cela peut faire une grande différence dans l’évolution des dossiers.

A quoi s’attend la Belgique dans sa nouvelle relation avec les États-Unis ?

En tant que belge, la relation est double : d’abord travailler sur notre relation bilatérale basée sur notre histoire commune. Les États-Unis sont intervenus dans des périodes extrêmement difficiles de notre histoire, ce que nous ne pouvons pas oublier. Plus pratiquement, nous avons une relation commerciale importante : les États-Unis sont le premier pays d’exportation après nos pays voisins. Nous avons mis en place un accord de preclearance avec eux [la Belgique a conclu en juillet dernier un accord avec les autorités américaines autour d’un système destiné à faciliter les contrôles douaniers des voyageurs à destination des États-Unis, NDLR] et nous allons continuer à organiser notre relation bilatérale de la meilleure manière qu’il soit, notamment en termes d’échanges d’informations et d’approches sécuritaires. Faisant partie de l’Europe et de l’Otan, la Belgique peut influer sur l’agenda, sur le message de l’Europe aux États-Unis.

En novembre dernier, vous aviez insisté sur la nécessité d’être réaliste pour pouvoir peser diplomatiquement. Cela passe par l’opération de choix pour affirmer sa place. Quelles sont vos priorités ?

Je reste dans les axes exposés dans la note de politique générale au Parlement. La politique d’Affaires étrangères va reposer sur trois piliers : l’approche diplomatique « classique », la défense des valeurs de manière générale et toute la partie économique à construire avec les Régions.

En ce qui concerne les États-Unis et notre relation bilatérale, nous allons continuer de faire évoluer ces accords de preclearance, enrichir nos échanges sur la sécurité. Nous partons en mission économique au mois d’octobre à New York, Boston et Atlanta avec la princesse Astrid. Ce travail va commencer à se faire en février en bonne entente avec les Régions.

Avez-vous déjà eu des échanges avec l’administration Biden ? Avec votre homologue américain, Antony Blinken ?

Non, pas encore. Notre ambassade a des contacts avec l’administration de manière générale. Mais tout le timing autour de la passation de pouvoir ayant été perturbé aux États-Unis… on laisse le temps au temps.

Après avoir siégé pendant deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU dans une ambiance tendue, est-ce que le changement de présidence américaine va permettre une détente ?

L’ONU, c’est vraiment la quintessence du multilatéralisme, donc que ce soit au niveau de l’ONU, des Accords de Paris, de l’OMS, de l’OMC, de la Cour pénale internationale, du nucléaire iranien… ce sont autant de dossiers qui nécessitent un engagement de la part des États-Unis dans le multilatéralisme. Cette volonté affichée du président Biden de redémarrer ce moteur est accueillie extrêmement favorablement. Par nature, tous les dossiers précités nécessitent une approche multilatérale. Tout ne sera pas réglé du jour au lendemain, mais la première manière de trouver des solutions, c’est de reprendre sa place autour de la table. Et je comprends que c’est ce qu’entend faire monsieur Biden.

 

Entretien avec MARINE BUISSON

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