La DH – 09.05.2020 – Adrien de Marneffe

Les raisons de la décision de Sophie Wilmès face « à la détresse de la population ».

On s’attendait, à force de la regarder s’adresser à la nation sur le ton grave que la situation exige, à rencontrer une Première ministre à l’humeur marquée par l’âpreté des semaines écoulées. Sophie Wilmès arbore au contraire une jovialité inattendue quand elle pénètre dans la salle des Lilas, au rez-de-chaussée du 16 rue de la Loi. Il y a de bons et moins bons jours quand on gère une telle crise. Mais d’abattement, il ne semble pas y avoir.

Vous avez surpris en annonçant les réunions familliales et entre amis dès ce dimanche. Pourquoi cette accélération ?

« Il y a deux raisons. Le Conseil national de sécurité a pour objectif de déterminer un cadre, des perspectives sur le long terme, de manière graduelle, évolutive. On a démontré que ce n’était pas un exercice facile à réussir (elle sourit) . Après cela, le plus frappant a été la résonance dans la population du manque de contacts personnels. On avait bien envisagé d’ouvrir ce champ à partir du 18 mai. Mais au fur et à mesure que le temps passe, la notion de ‘ dans une semaine ’ n’est plus la même, quand vous vous languissez de voir vos proches. »

Les fuites, évoquant des dates plus rapprochées (le 4 mai), ont accentué l’attente.

« La personne responsable de ces fuites devrait ne pas se sentir bien. Je reçois des e-mails, des messages sur Messenger, Instagram, avec des situations de vie qui ne sont pas simples. Cette détresse est de plus en plus difficile pour certaines personnes. On était convaincu qu’il y avait urgence à ouvrir plus tôt que ce que le GEES (experts en charge de la stratégie de déconfinement) avait prévu au départ. Cela pouvait se faire car le groupe d’experts avait la conviction qu’il fallait répondre à cet appel. La question sanitaire est fondamentale. Mais se retrouver dans une situation où on est à même de respecter les règles, parce qu’on les soutient et les accepte, est aussi fondamental dans la gestion du déconfinement. »

Pourquoi quatre personnes ? Un rapport intermédiaire du GEES parlait de 10.

« Choisir, c’est renoncer. Quand vous ouvrez le champ de manière limitée, par définition, vous créez de la satisfaction, puis des frustrations. Deux ou trois, ce n’est peut-être pas assez pour une famille, et 10, c’est trop. Le GEES l’a estimé lui-même. Quatre, cela correspond à une famille moyenne, au fait de pouvoir inviter les deux grands-parents de chaque côté, à quelque chose d’acceptable dans la gestion de la propagation du virus. »

Mercredi, après avoir annoncé la possibilité de visites, vous ajoutez que la semaine prochaine, on ne pourra pas élargir les visites. N’est-ce pas un prêté pour un rendu ?

« Vous prenez une hypothèse incorrecte. Beaucoup de gens ont pensé, à cause de la fuite, que 18 mai signifiait ouverture des réunions familiales à 10 personnes. Sauf que cela n’a jamais été le cas. Cela a seulement été évoqué dans un brouillon. »

On parlait alors du 4 mai.

« Il y a eu deux choses. Le fait que ce soit 10 personnes et une date. Puis dans le CNS du 24 avril, on a dit qu’on ouvrirait le 18 mai. Dans la tête des gens, il y a eu une double avancée. Puis, un renoncement ressenti le 4 mai sur la date, puis pour le 18. Sauf que cela n’a jamais correspondu à une réalité. C’est comme si vous écriviez des idées non abouties, qu’on prenait votre document de travail en disant : ‘Voilà la situation.’ »

Et sur le fond de la mesure ?

« Quand vous ouvrez le champ des possibles, vous ne pouvez pas immédiatement dire : ‘On ouvre de manière encore plus grande la semaine prochaine.’ Il faut le temps de voir comment cela évolue. Une semaine, ce n’est pas suffisant. Je ne veux pas donner de faux espoirs. Les scientifiques nous l’ont dit : il n’y aura probablement pas de nouvelles décisions supplémentaires pour la phase qui commence le 18 mai en termes d’ouverture des familles et aux amis. »

Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’on élargisse davantage les relations familiales et entre amis le 18 mai ?

« Probablement pas. Il y a une évolution par étapes. Dès qu’on pourra encore ouvrir les champs des rencontres personnelles, on le fera. »

La Première profitera elle aussi de l’ouverture de la possibilité de voir des proches.

Pourquoi avoir fait votre mea culpa après le dernier CNS ?

Il y avait une convergence pour dire qu’il y a eu une difficulté dans la communication. Donc il faut le reconnaître et s’adapter. Ce qui est surprenant, c’est qu’on trouve cela si surprenant que je l’ai fait. »

Votre cote de popularité fluctue sur un mode « Géniale, nulle, puis de nouveau géniale ». Comment vivez-vous cette pression ?

« Il faut écouter la critique quand elle est constructive ou répétitive. Je ne suis pas là pour mesurer mon taux de popularité jour après jour. Je n’ai jamais été fan de l’exposition médiatique, je suis une femme de dossier, une team player. »

Les critiques vous touchent ?

« On ne peut jamais dire que ce qu’on dit et écrit à votre sujet ne vous atteint pas. On n’est pas déconnecté de ses émotions. Mais il faut faire la part des choses. »

Avez-vous décidé des quatre personnes qui vous reverrez à partir de dimanche ?

« C’est une évidence, ce sera ma maman et sa moitié. On n’a pas réfléchi au-delà. Mais on a cette furieuse envie de les revoir. Même de loin ! Il est impératif de garder ses distances, même si on a très envie de les embrasser, de les prendre dans ses bras. Une nouvelle manière d’aimer quelqu’un, c’est garder ses distances pour les protéger. »

Beaucoup de parents avec enfants en bas âge doivent retravailler ou ont dû télétravailler depuis le début sans aide. Ne sont-ils pas les oubliés du déconfinement ?

« C’est une réelle difficulté. De manière générale, il y a toujours des pans de la société qui ont plus de difficultés que d’autres. Je l’ai vécu aussi. J’ai quatre enfants. C’est déjà extrêmement difficile de se retrouver avec des enfants en bas âge, combiné au fait que les deux parents travaillent.. D’autant plus si vous ne pouvez pas compter sur l’aide extérieure et que vous devez jongler durant les vacances. C’est vrai que dans la crise du Covid, toute une série de possibilités offertes aux parents ne sont plus là. Comme l’aide d’une voisine. La mienne m’a beaucoup aidée. Ma maman aussi quand les enfants étaient petits. Avec des enfants en bas âge, quand vous êtes confinés 24/24, même si vous pouvez aller faire une balade, ce n’est vraiment pas simple. »

Que faire pour soulager ces familles ?

« On a travaillé sur un congé parental corona, qu’on peut prendre sans que cela soit amputé aux autres congés. »

On part sur peut-être quatre mois sans solution…

« On verra bien. On a demandé aux écoles d’organiser des garderies. Un groupe de travail planche actuellement, avec les ministres concernés, à la réorganisation et le nouvel accès à toute la société non-profit (ASBL) qui s’organisent dans les maisons de quartiers, les écoles de devoirs. On espère petit à petit rouvrir doucement. Cela figurera dans le prochain rapport du GEES. On rentre dans cette réflexion. »

Comment sera l’été 2020, les vacances ?

« Si je le savais, je vous le dirais. »

« Les partis doivent se parler et se mettre autour de la table »

La Première ministre estime que la situation actuelle ne doit pas être prolongée.

Au Kern élargi aux dix présidents de partis, on trouve une situation de « partici-position ». Comment le gérer ?

« Ce n’est pas une situation qui doit être prolongée. D’abord, parce qu’elle est attachée à l’exercice des pouvoirs spéciaux, une anomalie de la démocratie qui lui permet de continuer à fonctionner dans les moments les plus difficiles. Si fin juin, quand les pouvoirs spéciaux se terminent, et si la situation ne l’exige pas, je ne les redemanderai pas. »

Ne seriez-vous pas utile à la reconstruction économique en tant que Première ministre ou comme ministre ?

« En ce qui concerne ma petite personne, je ne me pose pas du tout cette question. La seule chose qui me préoccupe, c’est la gestion de la crise. Je n’ai pas le temps pour l’introspection. Mais la question de la relance me préoccupe. Et la meilleure manière d’appréhender l’avenir de notre pays, c’est de le faire au sein d’un gouvernement qui dispose d’une majorité parlementaire. Pas d’un soutien de l’extérieur. Pour ça, il faut que les partis se parlent, se mettent autour de la table et décident d’un calendrier commun. »

Lire l'article dans La DH
© DEMOULIN BERNARD