“Il faudra ajouter des couches au futur plan de relance”

Sophie Wilmès (MR) n’est pas “que” ministre des Affaires étrangères au sein de l’équipe d’Alexander De Croo. La libérale, en tant que vice-Première ministre, représentera également la voix du MR au sein de la majorité Vivaldi. À ce titre, elle aura un droit de regard dans tous les dossiers importants de la coalition fédérale. Elle livre les grandes préoccupations qui l’animeront comme “VP” jusqu’en 2024.

Comme vice-Première ministre, quelle ligne politique allez-vous suivre jusqu’en 2024 ?

L’accord de gouvernement a été négocié durant la crise sanitaire et a été marqué par elle. Mais le MR avait, avant cela, une série de revendications politiques liées à son ADN et qu’il gardera. Tous partis confondus, pour faire fonctionner ce gouvernement, il faudra avant tout être loyal à l’accord de majorité, qui est le fruit d’un compromis. À l’intérieur de ce pacte, le MR voudra toutefois prendre certains accents : la santé, la relance économique, la sécurité et l’environnement. Premier point : la santé. J’ai pu incarner la gestion de la crise Covid au départ comme Première ministre. Notre approche reste aujourd’hui la même : elle est totalement axée sur la protection de la santé de nos concitoyens, que ce soit à l’égard du Covid ou à l’égard des autres pathologies. Par ailleurs, cet été, des engagements avaient été formulés au sujet des conditions de travail du personnel médical et des salaires. Cet accord est fondamental. Enfin, quand je parle de la santé, j’intègre également l’aspect santé mentale. Autour de nous, des gens vivent plus ou moins bien les difficultés du confinement. Le MR continue à vouloir prendre cela en compte.

Le MR ne se fera pas beaucoup d’ennemis… Vos partenaires de majorité – socialistes, écologistes, le CD&V – seront certainement d’accord avec ces points. Où est la marque libérale ?

Dans l’application de ces principes, des différences peuvent émerger. Par exemple, quand je parle d’approche psychologique de la santé, je fais le lien avec les projets de vie. Il est dommage d’opposer l’économique à la santé. Quand le MR parle des indépendants, son point de vue est lié à l’économie de notre pays mais aussi aux parcours individuels, à ces femmes et à ces hommes qui ont tout risqué pour développer leur magasin, leur PME, leur entreprise. Quand le gouvernement prend une décision, il faut toujours prendre en compte les entrepreneurs et les indépendants et tous ces projets de vie qui se cachent derrière.

À ce propos, où en est le plan de relance ? Les États-membres doivent transmettre leur programme à la Commission européenne pour le 30 avril afin de bénéficier de la manne de 750 milliards d’euros (Next Generation EU). La Belgique est à la traîne. Le secrétaire d’État en charge de la relance, Thomas Dermine (PS), parle d’un plan portant sur 10 à 20 milliards d’euros alors que le plan d’investissement du gouvernement Michel, pré-Covid donc, tablait sur… 150 milliards. La Vivaldi manque-t-elle d’ambition ?

Ce plan défini lors de la précédente législature était extrêmement large et reposait sur une intervention du public et du privé. La dynamique de relance actuelle ne fait que commencer. Il faudra ajouter des couches au futur plan de relance. La partie européenne du dossier doit avoir notre priorité, vu le timing. Mais le plan de relance ne pourra pas se limiter à cela.

La ministre de l’Intérieur (Annelies Verlinden, CD&V) et le ministre de la Justice (Vincent Van Quickenborne, Open VLD) ont appelé récemment à la “tolérance zéro” à l’égard des violences contre la police. Est-ce également votre cas ?

La sécurité est l’un des axes prioritaires que je compte suivre en tant que vice-Première ministre. Il y a encore de grands challenges à relever au niveau sécuritaire. Je n’ai pas de craintes particulières, mais les évènements dans le monde ont eu et peuvent avoir des conséquences douloureuses pour la sécurité de nos concitoyens. Par ailleurs, au niveau de la police, l’accord de gouvernement prévoit le recrutement de 1 600 policiers par an. Je veux absolument que cet objectif soit réalisé. Vous n’aurez pas de politique de sécurité efficace sans le personnel derrière pour la mettre en œuvre. Ce point est la clef de voûte.

Les violences peuvent aussi être le fait de policiers.

Nos policiers doivent être contrôlés dans la manière dont ils exercent leur travail. Mais il faut surtout qu’ils puissent travailler dans des conditions normales de sécurité. Ils travaillent pour nous, je le rappelle. Nous devons protéger ceux qui nous protègent. Une circulaire a été déjà été émise dans le sens de cette “tolérance zéro” et je m’en réjouis. Le MR apportera également un soutien fort à d’autres chantiers en matière de Justice, comme la lutte contre le sentiment d’impunité, par exemple.

Faut-il donner une prime, une récompense, pour le travail accompli par la police durant le confinement ? Le personnel soignant va en bénéficier.

Ce n’est pas prévu, à ma connaissance. Mais, de manière générale, et c’était aussi le cas avec le personnel soignant, ce qui importe le plus aux policiers, ce sont les conditions de travail et la possibilité pour eux de faire leur job malgré la crise. Oui, il y a une prime pour le personnel soignant et elle est la bienvenue. Mais la réalité, c’est que la demande fondamentale est ailleurs et se trouve dans les conditions de travail.

Vous êtes désormais vice-Première après avoir occupé le “16”. Comment passe-t-on du rôle de Première ministre, capitaine d’un navire en pleine tempête, à un rôle moins exposé ?

Je suis, de nature, quelqu’un de discret, qui n’a pas de joie à être exposée médiatiquement. Sur cet aspect, c’est plutôt quelque chose de positif.

C’est un soulagement, alors ?

En parlant de soulagement, vous mettez un bémol à mon sens du devoir. Or, il a toujours prédominé dans tous mes choix. On ne demande pas à être Premier ministre, on le devient. Parce que la vie vous y amène, ou parce que vous avez négocié un accord de gouvernement et que les rapports de force le déterminent. Comme Premier ministre, vous êtes là pour remplir une mission, une tâche. Je l’ai fait de cette manière-là, et je m’en suis écarté de la même manière, sans états d’âme et sans difficultés. D’autant plus que j’allais mettre ma pierre à l’édifice de cet accord de gouvernement et travailler au service de la Belgique dans une matière qui m’intéresse énormément.

Avec les Affaires étrangères, vous héritez d’un département qui vous intéressait depuis longtemps ?

Les Affaires étrangères, c’est fondamental. On l’oublie un peu en Belgique. On se dit que notre pays n’est pas un grand acteur sur la scène internationale. C’est une erreur d’appréciation. Le job de minister des Affaires étrangères doit permettre de faire rayonner le pays à l’international. La Belgique a souvent meilleure presse à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le Belgique est assez humble, ce que j’apprécie, mais parfois, elle manque de reconnaissance de ses propres qualités. Ces qualités sont reconnues internationalement et sont inversement proportionnelles à notre taille. Je l’ai vu et ressenti comme Première ministre à l’étranger. C’est un vrai honneur d’y représenter la Belgique. Je suis très fière de mon pays.

Pour la première fois depuis 11 ans, le Commerce extérieur est couplé aux Affaires étrangères. Pourquoi avoir demandé ce rapprochement ?

On a une petite économie très ouverte : 85 % de notre PIB est lié au commerce international, un job sur cinq en dépend. On a été frappé, comme beaucoup de pays, par le Covid. S’il y a un moment où il faut aller chercher des leviers d’investissement à l’extérieur, c’est maintenant. Il y a un vrai challenge. Pour cela, lier les compétences des Affaires étrangères au Commerce extérieur est une excellente chose.

Comment la Belgique accueille-t-elle l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche après les années difficiles du mandat de Donald Trump ?

La Belgique accueille positivement l’élection d’un nouveau président. Mais il faut être attentif au fait que plus de 70 millions de personnes ont voté pour M. Trump. C’est un message adressé au president élu, Joe Biden, mais aussi un avertissement adressé à l’extérieur. Il est vrai que l’élection de Joe Biden est une issue enthousiasmante. Ce qui est important en politique étrangère, c’est aussi la capacité de raisonner ensemble. La Belgique est très portée sur le multilatéralisme, pas parce que c’est une tradition, mais parce qu’il y a une vraie valeur ajoutée. L’approche qui consiste à travailler majoritairement de manière bilatérale est à mon avis moins positive pour l’ordre du monde qu’une approche plus multilatéraliste, qui accepte le point de vue des autres, et les traités et organisations auxquels nous sommes tous liés.

Joe Biden va-t-il rompre totalement avec les objectifs de l’administration Trump ?

Biden n’a pas fait mystère de sa volonté de se réengager dans ces organisations internationales et dans le multilatéralisme. Ce n’est pas pour autant qu’il va tout changer dans la politique étrangère des États Unis. Mais la manière sera plus concertée, ce qui nous convient mieux.

Déconfinement.

Que pense Sophie Wilmès des décisions du comité de concertation de vendredi ?

Rouvrir les commerces était nécessaire pour répondre à la détresse de milliers de Belges, de tous ces indépendants et commerçants. La situation sanitaire actuelle ne nous permet pas d’envisager un élargissement de nos contacts sociaux et c’est un crève-cœur. Particulièrement à l’approche de cette fin d’année. Je garde toujours l’espoir que la situation sanitaire nous permette de réenvisager les choses.

Frédéric Chardon

© La Libre Belgique

© Bernard Demoulin

Interview La Libre Belgique