Chaque mois, le Parlement européen se réunit en séance plénière pendant quatre jours à Strasbourg. Ces sessions sont les temps forts de la vie parlementaire. C’est dans la ville française qu’ont lieu les grands débats d’actualité et le vote final sur les textes législatifs. On peut considérer la séance plénière comme l’aboutissement du travail effectué à Bruxelles. L’idée de ce billet est de vous fournir un récapitulatif des faits marquants de la semaine, d’en expliquer le contexte, de les analyser et de vous informer des votes importants pendant cette session.
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Une confiance fragile envers la Commission européenne
Largement inspirée des préceptes du Siècle des Lumières, notre démocratie est fondée sur un pilier central, popularisé par Montesquieu : la séparation des pouvoirs. Le penseur et philosophe français explique dans De l’esprit des lois que la liberté découle justement de la division entre le pouvoir de juger, de légiférer et d’exécuter. « Le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est ainsi que la fonction de tout Parlement, au sein de la démocratie libérale, ne se limite pas à voter des lois mais, aussi, à exercer un contrôle salutaire sur le travail du gouvernement, le pouvoir exécutif. Parmi les mécanismes de contre-pouvoir parlementaire, il existe la motion de censure. Au niveau européen, 72 députés peuvent choisir de l’activer. L’existence d’un tel moyen de pression est une très bonne chose puisque cette option à la disposition des parlementaires garantit la responsabilité politique de la Commission européenne. Cette dernière doit rendre des comptes face aux représentants du peuple, les députés européens. Pour autant, cette possibilité doit être utilisée à bon escient. Et ce fut très loin d’être le cas cette fois-ci. Introduite par un parti d’extrême-droite, le texte de la motion mélange au final beaucoup de motivations fantasques et de théories du complot, largement récoltées sur les réseaux sociaux comme, par exemple, une prétendue ingérence de l’UE dans les dernières élections roumaines ou allemandes. Une accusation sans aucun fondement. C’est donc tout naturellement qu’elle a été rejetée par une large majorité des députés, avec aucun désir de donner du crédit aux intox véhiculées par l’extrême-droite. D’ailleurs, du côté belge, seuls le Vlaams Belang et M. Kennes, ancien PTB mais toujours membre du groupe d’extrême-gauche The Left, ont choisi de soutenir la motion. C’est une preuve supplémentaire, s’il en fallait encore, que les extrêmes joueront, chaque fois qu’ils le peuvent, la carte du désordre et de l’instabilité, avec le risque de provoquer une crise politique à un moment de l’histoire où les Européens sont confrontés à des défis colossaux dont une guerre à leurs portes. Je n’ai aucun doute sur le fait que certaines puissances étrangères qui agissent contre les intérêts de l’Europe ont regardé cette séquence en se frottant les mains.
Est-ce que ça veut dire que j’accorde une confiance aveugle en la Commission européenne ? Certainement pas. Je suis loin d’être satisfaite de la situation actuelle d’ailleurs. Un de mes principaux reproches est très certainement la lenteur du travail législatif. Au niveau européen, seule la Commission a l’initiative législative selon les traités, c’est-à-dire qu’elle est la seule à pouvoir proposer et déposer des textes législatifs, le Parlement étant limité aux rapports d’initiative. C’est une anomalie mais, en attendant une réforme des traités, c’est la réalité avec laquelle nous devons composer. Or, depuis le début de la nouvelle législature, j’observe beaucoup de communications de la part de la Commission alors que peu de textes nous arrivent au Parlement. Pourtant, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Cette absence de sens de l’urgence est assez incompréhensible. J’ai également un problème fondamental avec l’attitude actuelle du Parti Populaire Européen. Le PPE est la première force politique en Europe, et au Parlement également. Pour ceux qui ne le savent pas, c’est la famille politique dont sont issues la majorité des Commissaires et la Présidente, Madame Ursula von der Leyen. Aujourd’hui, le PPE joue un double-jeu au Parlement. Malgré le cap qui a été fixé par notre coalition pro-européenne rassemblant conservateurs (PPE), libéraux (Renew) et socialistes (S&D), le PPE n’hésite pas à contrevenir à cette coalition qui a fait élire la Commission pour construire des alliances avec l’extrême-droite, celle-là même qui a déposé la motion de censure demandant la démission de Madame von der Leyen ! Un comble, n’est-ce pas ? J’espère que cet épisode permettra au PPE de se remettre fondamentalement en question. Qui sont ses alliés au sein de cette assemblée ? L’extrême-droite qui, en définitive, n’est pas à une trahison près ? Ou les démocrates, dont les libéraux de Renew, qui cherchent à travailler de manière constructive et loyale avec les forces pro-européennes en Europe ? Je le dis : la confiance n’est pas rompue. Mais elle est fragile, de plus en plus fragile. Il est grand temps de revenir à la raison.
L’extrême-droite en leader climatique
C’est d’ailleurs dans ce contexte de double alliance et de complaisance avec les partis d’extrême-droite que le PPE a laissé filer le rôle de rapporteur sur les futures ambitions climatiques européennes (90% d’ici 2040) au groupe des Patriotes, le groupe du Vlaams Belang, du RN ou encore de M. Orban. Être rapporteur au Parlement européen est une fonction-clé. Le ou la député(e) désigné(e) va être chargé(e) de formuler la position officielle de l’assemblée sur une proposition législative spécifique, à travers un rapport qui sera présenté, défendu, parfois amendé et, si tout va bien, adopté en séance plénière. Le rapporteur devient non seulement le « visage » du Parlement sur le texte mais il a aussi la possibilité d’orienter le débat, voire de faire basculer le contenu final du texte en fonction de ses arbitrages. Cela signifie que, concrètement, l’extrême-droite va être en mesure de donner le ton à l’Europe en matière de climat.
Selon moi, c’est une lourde erreur. Je suis la première à plaider pour plus de pragmatisme et de réalisme en matière de climat. Le dérèglement climatique est une réalité, préoccupante. Mais notre politique de réduction de nos émissions ne doit pas être guidée par l’inflexibilité ou la radicalité, dans un cas comme dans l’autre. On l’a constaté précédemment : si ne rien faire n’est pas une option, les changements trop rapides, trop brusques provoquent du rejet et de la colère. Les gens ont besoin de comprendre et de s’approprier progressivement la transition vers la neutralité carbone. Je me pose moi-même encore énormément de questions sur les moyens et la mesure des efforts liés à l’ambitieux objectif de réduction de 90% de nos émissions d’ici 2040. Mais je n’échange pas un dogme contre un autre, celui-ci porté par l’extrême-droite cette fois, qui, lui, est antiscience et nie complètement le changement climatique. Je pense que notre politique climatique européenne doit justement être construite et ajustée au centre, avec les démocrates, avec les libéraux, là où l’équilibre se trouve.
Lors de cette session plénière, nous avons manqué une première occasion d’aller dans cette direction. Même si nous ne sommes pas prononcés sur le fond, sur la forme, j’ai toujours préféré recourir à une procédure législative ordinaire. La proposition d’urgence faite par mon groupe, Renew Europe, représentait néanmoins un bon compromis permettant à la fois d’éviter un rapporteur d’extrême-droite, sans pour autant contourner le débat démocratique indispensable. En réunion de groupe, j’avais exprimé plusieurs conditions pour soutenir cette procédure d’urgence, notamment l’opportunité de demander des « opinions » à d’autres commissions comme ITRE (commission dans laquelle je siège par ailleurs), ce qui avait été accepté. Néanmoins, la procédure d’urgence a été rejetée et, le PPE et l’extrême-droite ont préféré la procédure classique, avec un rapporteur d’extrême-droite. Une très mauvaise nouvelle mais ce n’est pas la fin de l’histoire. La suite s’écrira dans les prochains mois.
Trump’s tariffs : 6 mois de chaos
Coïncidence du calendrier, la séance plénière de juillet tombait en même temps que la date limite fixée par le Président Trump pour l’entrée en vigueur des droits de douane annoncée lors de son désormais célèbre « Liberation Day ». Depuis l’annonce de ce moratoire, la Commission européenne, qui a la compétence exclusive en matière de commerce, s’est appliquée à négocier un accord avec les États-Unis en vue d’éviter le coup de massue fiscal – j’ai déjà eu l’opportunité d’exprimer ma pensée à l’encontre de cette politique tarifaire absurde dans un précédent débriefing. Le délai a été, une fois de plus, reporté. Il est désormais fixé au 1er août, ce qui laisse encore un peu de marge de manœuvre à l’UE pour aboutir. Je suis convaincue que nous avons intérêt à trouver un accord le plus rapidement possible car, pour le moment, ce qui plombe d’abord nos économies et nos acteurs économiques, c’est l’incertitude. Les entreprises reportent leurs investissements et limitent leur développement, pendant que la consommation baisse. Ce qui nous fragilise grandement. Cela ne veut pas dire qu’il faut un accord à n’importe quel prix, bien entendu. Au fil des mois, j’ai moi-même, avec d’autres collègues, pu répéter ce que devaient être nos lignes rouges. Un accord qui protège les intérêts européens, protège en priorité ces secteurs d’excellence. Je pense, par exemple, au secteur pharmaceutique qui, il y a quelques jours encore, était menacé par le Président Trump de droits de douane à 200%. Comme ce fut le cas dans le cadre du Brexit, nous devons aussi absolument éviter de revoir nos normes sanitaires à la baisse, non seulement pour s’assurer de la qualité des produits qui arrivent dans nos assiettes mais, aussi, pour ne pas créer de concurrence déloyale vis-à-vis par exemple de nos agriculteurs qui produisent, eux, selon des critères stricts pour des produits de haute qualité. Enfin, c’est essentiel pour moi de ne pas revenir sur nos principes démocratiques au nom du commerce. Le règlement DSA en est un bon exemple. Ces règles qui régissent les réseaux sociaux et, grosso modo, s’assurent que les plateformes ne soient pas des zones de non-droit, ne sont pas du goût des géants de la Tech américain. Lorsque j’étais Ministre en charge du Commerce extérieur, j’ai toujours mis en avant une politique qui marche sur deux jambes : le commerce et les valeurs. Au contraire du Président Trump, nous ne devons pas baser nos relations internationales uniquement sur des transactions, la « politique du deal ». Ce serait perdre un peu de notre âme, et des principes fondateurs qui sont à l’origine de l’Union européenne comme projet politique.
Lors du débat organisé en plénière sur le sujet, j’ai voulu mettre en garde le Commissaire Sefcovic sur deux points. Tout d’abord, si accord il y a et je le souhaite, il serait naïf de la part de la Commission européenne de baisser sa garde. S’il y a bien une chose que nous avons appris, pendant les six premiers mois de l’Administration Trump, c’est que ce mandat présidentiel va, plus que jamais, être rythmé de revirements spectaculaires, parfois à 180 degrés, au gré des humeurs du Président américain. Cette réalité oblige la Commission à rester alerte, prête à répliquer voire à riposter avec des contre-mesures tarifaires ciblées. La liste qui a été définie en coulisses ne doit pas être jetée à la poubelle au moment où un accord est signé. Nous devrons toujours garder ce moyen de pression. Ensuite, j’attends des réformes socio-économiques plus structurelles, plus rapidement de la part de la Commission européenne. Ce n’est pas l’élection d’un Président des États-Unis qui nous empêche d’avancer sur des dossiers cruciaux comme l’approfondissement du Marché unique ou l’implémentation du Rapport Draghi. Il y a des avancées importantes allant de l’Union des capitaux au 28ème régime, pour ne prendre que ces exemples-là, qui nous permettront de renforcer notre propre compétitivité, peu importe le contexte international. Je continuerai à pousser dans ce sens.
Un Semestre européen sur l’État de droit ? Le projet est sur la table
À l’occasion du débat sur les leçons de la Budapest Pride, durant laquelle plus de 200.000 personnes ont manifesté en faveur des droits des personnes LGBTQIA+ mais aussi en faveur d’une Europe des libertés, j’ai présenté au Commissaire McGrath ma proposition d’un Semestre européen sur l’État de droit. C’était le bon moment, alors que le Commissaire venait tout juste de présenter le nouveau rapport sur le respect de l’État de droit dans l’UE ; un rapport dans lequel on voit bien que des pays comme la Hongrie et la Slovaquie continuent d’avancer dans une direction qui les éloigne de plus en plus des principes démocratiques européens, consacrés dans nos traités. On voit bien également que d’autres pays, comme la Bulgarie, prennent une direction qui doit nous interpeller. L’accueil de cette réforme est excellent, non seulement par le Commissaire mais aussi par mes collègues députés, au-delà de ma propre famille politique. Il y a une grande attente de la part des partis démocratiques de soutenir un cycle plus structurel et plus complet, dans lequel il ne s’agit pas seulement de formuler des recommandations mais de produire un calendrier, des échéances et un accompagnement pour qu’à un moment donné, la situation soit corrigée. Et s’il n’y a aucune volonté de la part de certains gouvernements à respecter nos valeurs et règles communes, alors la sanction doit s’appliquer. À ce niveau-là, des réformes importantes sont encore à mener. La plus emblématique concerne évidemment l’article 7 des traités qui reste encore en en suspens, aujourd’hui, par manque de volonté politique.
Tout faire pour éviter les ruptures de stocks en matière d’énergie
Parmi les textes importants adoptés cette fois-ci, je voudrais mettre en avant la prolongation du règlement européen de 2022 qui garantit le remplissage de nos stocks de gaz dans l’UE, avec suffisamment de flexibilités pour éviter spéculations ou tensions sur le marché. Cette mesure contribue à assurer notre sécurité d’approvisionnement, alors que le gaz est utilisé par la Russie comme moyen de pression sur l’UE. La crainte du black-out est une inquiétude persistante et légitime chez les citoyens, nous devons y apporter des réponses concrètes.
Plus d’informations sur le site du Parlement européen.