Seul le prononcé fait foi 

Écoutez ce que vous avez dit sur ce plateau quand je vous demandais comment vous conceviez les relations avec Vladimir Poutine ?

« Le dialogue doit être absolument maintenu, il n’y a que comme ça qu’on rétabli la paix dans le monde ».

Dialogue à tout prix, un peu comme le président Macron ?

Ce n’est pas un dialogue à tout prix, c’est un dialogue en tout état de cause. Quand vous négociez la paix, c’est parce que vous dialoguez. Oui, ces canaux-là doivent rester ouverts. Ça ne veut pas pour autant dire qu’il y a une légitimation de ce qui est en train de se passer.

Vous êtes parfois en contact avec le Kremlin, avec votre collègue Lavrov ?

Aujourd’hui, je ne suis pas en contact avec mon collègue Lavrov. La France, L’Allemagne, le Luxembourg aussi – au niveau des chefs de gouvernements – ont pris en mains les discussions avec le Kremlin. Ils nous font état de ce qui se passent. Je pense qu’ils ont raison de le faire.

Pourquoi pas une médiation par la Belgique? C’est l’ADN de la Belgique …

Je pense que tous ceux qui peuvent participer positivement à la solution doivent le faire. Aujourd’hui, la dynamique est ce qu’elle est. Elle n’est pas simple, il faut le dire. Je dois dire que de la part d’Emmanuel Macron, ou du chancelier Olaf, c’est quand même assez remarquable parce que mouiller son maillot dans ce type de situation, est aussi prendre un risque. Prendre le risque de la critique, prendre le risque de l’échec aussi, parce qu’on voit que pour l’instant ça ne fonctionne pas, mais il faut continuer à le faire.

Qui est Poutine pour vous ? On entend tous, pour vous aujourd’hui qui est Poutine ?

C’est d’abord un homme qui a décidé de ne pas respecter la souveraineté d’un état. C’est un homme qui a décidé – parce que le chemin que prenait cet état de manière souveraine ne lui convenait pas- de l’envahir. C’est un homme qui a décidé de bombarder de manière indiscriminée des civils, des cibles civils, c’est constitutif de crimes de guerre. Ce sera au tribunal international de le juger. Pour moi aujourd’hui Poutine, c’est un homme qui a déclaré une guerre sans merci à un pays qui ne lui a rien fait.

Les européens, nous avons l’impression qu’on fait la guerre sans faire la guerre. C’est bizarre ?

On ne fait pas la guerre. Nous aidons les Ukrainiens à se défendre contre l’agresseur.

Cobelligérance ?

Evidemment, la ligne que nous ne voulons pas franchir au niveau de l’OTAN est celle d’être cobelligérant, d’être partie au conflit. Ceci ne nous empêche pas d’être actif, d’être efficace en terme de soutien sur du matériel militaire, mais aussi en terme de soutien humanitaire. En terme de soutien aussi, parce que quand nous sanctionnons si lourdement la Russie, nous soutenons effectivement aussi les Ukrainiens, puisque l’objectif est d’induire un changement de comportement. Quand nous accueillions les Ukrainiens dans nos territoires, c’est aussi une manière de les soutenir.  Mais c’est vrai que la ligne rouge n’est pas de cobelligérance. Pourquoi ? Parce que nous ne voulons pas d’un conflit généralisé.

Certains redoutent une sorte de cyber ‘Pearl Harbour’ à une attaque numérique déclenchée par des « fermes à trolls » russes  qui pourraient faire des dégâts considérables. Est-ce que la Belgique, l’Europe, est sur le pied de guerre numérique ou pas ?

L’Europe – et la Belgique aussi – est effectivement en alerte. Nous sommes dans une situation de vigilance, de contrôle, 24h/24h. On a le centre de crise et le centre pour la cybersécurité, qui ont établi un plan d’urgence devrait-on être victime d’une attaque cyber. Ça dépend évidemment de l’ampleur de cette attaque.

Nous avons les armes pour se défendre, pour répliquer ?

C’est surtout une position défensive. Comment est-ce qu’on fait pour rétablir les canaux de communication ? Comment est-ce qu’on fait pour remettre les choses en état ? Tous les départements – en tous cas au niveau fédéral – ont investi de manière importante préemptive pour se prémunir d’une attaque. Il faut aussi comprendre que dans -ce qu’on appelle – la Boussole Stratégique – le renforcement de la défense européenne, mais aussi le travail qu’on fait au niveau de l’OTAN – toute la partie cyber est mise en exergue parce qu’on se rend compte que ça fait partie des guerres possibles du futur, ou même du présent.

Après la chute du Mur, est-il vrai selon vous que – comme l’affirment certains – Poutine était prêt à faire une alliance avec l’Europe ?

Il y a le « NATO-Russia council » par exemple au niveau de l’OTAN qui est une plateforme politique de discussion entre la Russie et l’OTAN – qui n’est plus d’actualité aujourd’hui dû au comportement de la Russie. Dire que la Russie était parfaitement isolée et qu’elle n’avait pas d’autre choix de se comporter comme elle le fait, ça c’est le narrative russe. Ça c’est faux. Ça n’a pas d’existence réelle.

Vladimir Fédorovski, qui a travaillé avec Gorbatsjov , qui maintenant est anti-Poutine, qui vit en France, dit – je cite-  : « Ne pas avoir associé la Russie à l’Europe était la plus grande erreur de l’occident depuis Jésus-Christ ».  ça c’est fort.

L’Europe a toujours eu des relations avec la Russie. De là à inclure la Russie dans l’Europe ce n’est pas parce qu’on s’appelle la Russie qu’on peut adhérer à l’Europe. L’Europe, c’est une union de valeurs. C’est un marché uni, c’est toute une série de critères qui doivent être rencontrés. Il n’y a jamais été question de ça. Ceci dit, ce n’est pas parce que vous ne faites pas partie de l’Europe, qu’il ne peut pas avoir de relations intéressantes et intenses avec la Russie, qu’il est en train évidemment de gâcher.

Le président Zelensky, au départ acteur jouant le rôle de président et qui maintenant incarne le président. C’est dans l’histoire des guerres une communication neuve, innovatrice, exceptionnelle ? Là, il est le grand gagnant ?

Je pense qu’il l’incarnait déjà avant sa présidence, maintenant il incarne le chef de guerre. Celui qui reste et se bat près de ses troupes, et celui qui reste près de sa population. Avec – c’est vrai – une communication qui est nouvelle, adaptée à la communication d’aujourd’hui et qui est très intéressante : il faut voir le différentiel entre la communication de Zelensky et celle de Poutine, à quel point lui, quand il parle aux gens, il les regarde, il est proche d’eux, il les touche presque. Par rapport à un Poutine très distant, qui s’enferme un petit peu dans sa tour d’ivoire.

Poutine – il faut bien le dire  – a réveillé l’Europe et a ressuscité l’OTAN, qui était en mort clinique – comme le disait le président Macron. Ce sera durable ou éphémère à votre avis ?

Je pense que c’est durable, tout simplement parce que l’OTAN est extrêmement uni et extrêmement déterminé. Ce sont autant de décisions que nous prenons ensemble ou de manière concertée qui font que nous sommes en mesure de soutenir l’Ukraine comme nous le faisons. Au niveau européen ce n’est pas que nous avons réveillé l’Europe, mais c’est que l’Europe a montré de quoi elle était capable et c’est vrai que cette partie-là est très positive pour notre développement.

Vous chouchoutez l’armée après l’avoir mise au régime. C’est aussi une révolution, non ?

Ce n’est pas une révolution. Dans le gouvernement précédent on avait investit de manière massive dans l’armée. On avait fort été critiqué d’ailleurs à ce niveau.

Par les partis qui sont dans la Vivaldi d’ailleurs …

Je pense qu’on a tous vécu -et de manière assez positive- dans un monde où on se disait que tout cela n’était plus possible et donc évidemment d’aucun pensait que comme nous vivions en paix, nous devions plus investir dans l’armée. D’autres, comme nous, pensions que tout ça était à protéger impérativement, mais ça voulait dire aussi investir dans l’armée donc c’est bien qu’on puisse le faire.

Le podium : rien que des femmes qui ont des positions importantes. Angela Merkel, Valérie Pecresse, Ursula Von Der Leyen, Kamala Harris.

En trois je mettrais Kamala Harris, en deux je mettrais Ursula Van Der Leyen et en un Angela Merkel, sans aucun doute.

Pourtant, on la critique beaucoup pour le moment en disant qu’elle a mis l’Allemagne dans l’éros des Russes, le fait de ne pas avoir d’autonomie de gaz, etc …

Je comprends qu’il y ait des critiques qui puissent être émises. Ça n’en demeure pas moins, que c’est une grande femme politique, une grande femme d’état. J’ai eu l’opportunité de la rencontrer. Je peux vous dire qu’à l’époque au Conseil européen, quand elle prenait le ‘leadership’ des négociations, tout le monde écoutait et suivait son ‘leadership’ ce qui était très utile.

Vous avez mis Pecresse au tapis. Vous voteriez pour qui en France ?

Je ne suis pas sûre que ça soit très habile de le dire, mais en tout cas ce que je peux vous assurer c’est que le président actuel fait très bien son boulot.

On passe maintenant à toute autre chose, mais très important : c’est le nucléaire. Quand votre collègue Gilkinet, aussi vice-premier ministre, déclare – je cite- « l’objectif d’écolo n’a jamais été de fermer le parc nucléaire », moi je me demande pourquoi le MR n’a pas arrêté de pilonner les écolos ?

Cette assertion serait drôle, si la situation n’était pas aussi délicate. Il suffit de regarder le programme d’écolo, leurs conditions pour la venue au gouvernement. Bien sûr que leur objectif principal était de fermer les centrales nucléaires. Mais objectivement, est-ce qu’il y a beaucoup d’intérêt de rester là-dessus. Ce qui m’intéresse, moi, est de savoir que le cap a été pris, le bon cap a enfin été pris. Maintenant, ce qu’on attend, c’est non seulement que la décision soit entérinée – cela a été fait – mais qu’elle soit suivie des faits parce qu’il en va évidemment du mix énergétique de la population.

Le CEO d’Engie, il l’a dit récemment « rien avant 2027, rien de possible avant 2027 » et votre président dit exactement le contraire.

C’est surtout l’Agence (fédérale) de Contrôle nucléaire qui dit que c’est possible en 2025, mi-2025. Moi j’attends quand même d’Engie qu’elle fasse preuve de dignité dans le partenariat, qu’elle montre à quel point elle prend à cœur sa responsabilité sociétale.

Elle ne le fait pas ?

J’attends d’eux qu’ils soient plus proactifs à trouver des solutions à la situation délicate dans laquelle on se trouve.

La question est-ce que le gouvernement est armé pour négocier avec Engie ? Puisque c’est le Premier qui négocie avec la ministre Tinne Van der Straeten. Ça veut dire quoi ? Que vous n’avez pas confiance dans votre collègue ?

Je pense qu’il est fondamental que le Premier ministre soit à la manouvre, parce que se faisant, il apporte un poids supplémentaire dans les négociations, qui ne seront pas simple. On n’a pas négocié avec Engie sur une négociation possible, dès l’entrée de ce gouvernement on aurait pu le faire. Pourquoi ? Pas parce que c’était l’option privilégiée à ce moment-là, mais parce qu’on savait que c’était le plan B. Et donc quand c’est un plan B – un plan de secours, un filet de sécurité- on fait en sorte qu’il soit toujours valable. Donc effectivement, maintenant il faut mettre tout son poids dans la balance.

Vous avez une confiance absolue dans votre collègue ou pas ?

J’ai une confiance absolue dans ce duo que formera le Premier ministre et Tinne (Van der Straeten). Ça a été la décision du Kern et je pense que c’est la meilleure décision qu’on pouvait prendre.

Et si on prenait un peu de hauteur ? Hier, selon l’étude de l’« Ecological Footprint », nous avons atteint les limites de la biocapacité terrestre. Autrement dit, on est en train de vivre à crédit, sur le dos d’une bonne partie de l’humanité. Est-ce qu’on continue ainsi l’exploitation et après moi les mouches ? Ou alors, on fait quoi en priorité ?

Ce n’est certainement pas « après moi, les mouches ». Il y a quand même eu énormément de signaux très fort de volonté de travailler à la durabilité de notre vie sur terre, on va dire ça comme ça. N’oubliez pas quand même qu’on parlait du nucléaire tout à l’heure, le nucléaire n’est pas la réponse unique aux problèmes devant lesquelles on se trouve. Il y a effectivement le nucléaire, mais il y a aussi en parallèle à ça des investissements massifs dans le renouvelable, ce sont des énergies naturelles, ce sont effectivement aussi des décisions que nous avons prises, que nous continuerons à prendre. Je pense que la société dans son ensemble a compris à quel point la terre, ça n’était pas un don, « ad vitam aeternam », dont on ne devait pas s’occuper. Et ça transcende toutes les parties.

La question qu’on n’ose pas poser, mais qu’on pose quand même. Depuis quelques jours, l’idée d’une guerre nucléaire – voir chimique – semble décomplexé. Entre ministres des Affaires étrangères entre ministres belges, est-ce que vous abordez cette menace à haute létalité ?

La possibilité d’une attaque tactique nucléaire – ou bactériologique ou chimique – a été évoquée à l’OTAN, il suffit de regarder les conclusions. Donc effectivement, on en parle au plus haut niveau, mais pourquoi on en parle ? Parce qu’il ne faut pas non plus affoler la population. On en parle parce que Poutine a mis son propre pays en niveau d’alerte, qu’effectivement on ne peut pas rester aveugle à ce type de démarches et que parallèlement, il accuse les États-Unis et l’Ukraine de développer une arme chimique. On sait très bien que ça fait partie du ‘modus operandi’ des Russes d’accuser la contrepartie de faire quelque chose qu’ils veulent faire eux-mêmes. C’est pour ça aussi que dans les conclusions de l’OTAN, on a mis le doigt là-dessus.

Les cotes sur 10. Le passage à l’heure d’été. Une cote ? On croyait que ça allait être fini, ça continue. 

Cela ne me pose pas de difficulté.

Une bonne cote alors ? Combien ?

8/10

La disparition des contrats fixes d’énergie.

Ça c’est une difficulté. Alors si vous contractez fixement quand les prix sont bas c’est intéressant, si vous devez contracter fixement quand les prix sont hauts c’est un problème, la difficulté avec les contrats variables c’est qu’effectivement, la population n’est pas prête à vivre ce qu’elle est en train de vivre, c’est-à-dire des augmentations significatives de leurs factures.

Alors on le sait, aujourd’hui, une grande partie de la population a beaucoup de difficultés avec cette flambée des prix. Il y en aura encore plus. Qu’est-ce que le gouvernement va pouvoir faire ? 

Alors le gouvernement travaille au niveau national à effectivement réduire un maximum la facture mais ce qu’il faut faire aussi et surtout et ce qui était l’objet d’ailleurs de discussions au niveau européen en fin de semaine, c’est de voir comment en amont même de cette facture – c’est-à-dire la formation des prix de l’électricité , l’achat en gros du gaz – comment est-ce que l’Europe à son niveau peut travailler en amont sur les prix ? Et elle a reçu mandat pour le faire.

Engie, avec laquelle vous allez devoir négocier. Une cote pour Engie, dans l’ensemble ? 

Ecoutez, j’ai envie de lui donner une note d’encouragement. Donc je ne suis pas du tout satisfaite avec ce qui est dit publiquement. Mais je lui donnerai 6 parce qu’on ne buse pas un élève avant qu’il ait terminé la totalité de son examen.

Les nouveaux rythmes scolaires seront votés cette semaine.

Je pense que sur le fond c’est une bonne réforme, sur la méthode j’ai vraiment un problème majeur. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit ici pour la communauté française d’avancer seule avec de nouveaux rythmes scolaires qui auront pour conséquence -par exemple – en 2024 que ni les vacances de carnaval, ni les vacances de Pâques, ne puissent être prises communément entre les deux communautés.

Ça vous choque ?

Oui, parce que moi j’ai un projet de société où on construit des ponts entre les différentes communautés. On apprend la langue de l’autre, on essaie de se comprendre. Dites-moi comment ça fonctionne quand on ne prend plus nos vacances ensemble ?

Vous demandez de suspendre le vote à la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Déjà, je m’étonne qu’il n’y ait pas eu beaucoup plus de concertation en amont et qu’il y ait une volonté d’avancer comme ça, un petit peu tête baissée. Chacun a ses compétences – je le reconnais bien – mais il ne faut pas se tromper parce qu’au-delà du projet de société, il y a des milliers de familles à Bruxelles et en périphérie qui vont souffrir de ce nouveau rythme.

La question à brûle-pourpoint. Alors vous nous quittez, bientôt ?

Ah bon ?

Selon l’Agence Bloomberg vous seriez une potentielle Secrétaire Générale de l’OTAN.

Je ne sais pas si vous avez suivi, mais on a prolongé Jens Stoltenberg dans ses fonctions. C’est d’ailleurs quelque chose pour laquelle je plaidais parce qu’on ne change pas de capitaine en plein orage.

Mais après ?

Je l’ai déjà dit, ce sont des rumeurs.

Vous ne seriez pas contre ?

Sincèrement, ça ne fait pas partie de mes objectifs.

Que diriez-vous à l’enfant que vous fûtes, et que nous allons découvrir à l’écran ?

Alors, quand on regarde cette petite fille et qu’on voit sa coupe de cheveux. La première chose qu’on lui dit, on la rassure « ne t’inquiète pas, Sophie, ta maman comprendra un jour qu’elle ne doit pas te couper les cheveux elle-même », ça c’est pour l’humour. Et puis pour le reste, je lui dirais : « un jour tu rencontreras un Australien et garde bien son attention sur lui, parce que c’est un ‘chic type’ ».